dimanche 22 mai 2016

Gauz + des élèves du 20ème+ un orchestre symphonique...le tout à la Maison de la poésie !


1ère de couverture "Montre-moi ce que je vois"

Gouttes de mots à la Maison de la poésie

Après une saucée monumentale (j'ai voulu croire que je pouvais passer entre les gouttes. Iceberg Slim aurait donc menti...), j'arrive -trempée- à la Maison de la Poésie.

Pourquoi ?



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Je viens assister à la restitution de la résidence d'écriture de

Gauz, auteur du célèbre Debout-Payé, éditions Attila)

- et des élèves du lycée professionnel Etienne Dolet (Paris 20ème) et du Collège Jean Perrin (Paris 20ème).




Pourquoi ?
Evénement annoncé dans Afriscope et par principe, je me rends les yeux fermés aux événements annoncés dans Afriscope. Et aussi parce que j'avais lu - toujours dans Afriscope - des extraits écrits par ces élèves et que cela m'avait bouleversée; tant les thèmes que leur écriture. ça m'avait bouleversée car dans leurs écrits, ces adolescents étaient justes, étaient eux. Juste eux. Loin des clichés et des préjugés qu'on leur colle à la peau et dans lesquels parfois, de guerre lasse, ils glissent. C'est fatigant de lutter contre le monde, non ?

J'avais adoré l'histoire de la feuille morte, fumer tue, le 20/20 mâtiné de mort et de spaghetti bolognaises, prendre le métro avec son voile.

Grand bien m'a pris de m'être rendue à cette restitution ! J'ai retrouvé ces bouts de texte qui m'avaient ravie et plus encore !

Round 1 : Perles précieuses

D'un bond, une dizaine d'adolescentes installée dans le public se dresse. Fierté palpable à leur montée des marches pour se rendre sur le plateau.




Je ne peux m'empêcher de constater que ce plateau-là, n'est pas monochrome comme celui de nos Molières - rebaptisés Molières de la honte - et que ça fait du bien (1). Je pense aussi à Bande de filles de Céline Sciamma. Ce film dont je n'ai pas su quoi penser. Certes des femmes noires en tête d'affiche (2) mais plus que jamais dans les clichés (bandes, violence, drogue, sexe, échec scolaire, social et familial).



Là, sur le plateau de la Maison de la Poésie, je vois des jeunes femmes, debout, face à leur public, dans la lumière, mise en espace par Kader Lassina. Des jeunes femmes qui assurent en dépit et grâce à l'émotion palpable chez chacune : la jambe qui gigote, la tête baissée, le regard scotché au sol pour finalement oser un œil vers le public, aimer ça (regarder le public vous regarder)... et alors sourire de bonheur.

Leurs voix nous donnent à entendre une année de résidence d'écriture dirigée par Gauz qui a demandé à ces jeunes "d'écrire n'importe quel texte (...) avec une seule condition : ouvrir son cœur et son âme. Alors, voilà, ce que ça donne"(3) des perles précieuses :

"boulot- maison-mosquée"
"tête d'ado"
"pensées neutres"
"moralité : n'empêchez jamais à ses enfants de prendre l'air"
"love story d'école"
"J'ai eu 20/20 à mon contrôle et mon plat préféré c'est les spaghetti Bolognaise "
"Passer de Bergson à Dolet, passer d'un philosophe à un imprimeur"

Je pourrais continuer à citer toutes ces perles qui m'ont touchée. Le mieux est encore que vous fassiez l'acquisition du livre Montre-moi ce que ce je vois, éditions Attila, pour y découvrir les sujets qui animent ces adolescents. Pour découvrir leur écriture volubile, créative, vivante, drôle et pleine d'esprit ! "son père didn't have the money pour l'opération...she was very content"

Ah bon, les adolescents d'aujourd'hui sont scotchés à internet, ne s'intéressent à rien ? Ah bon.

Leur textes parlent. Il parlent...
- d'amour et de mort,
- d'exclusion,
- des ici-là-bas,
- de l'école,
- de la religion.

De leurs combats intérieurs.

Rien de plus, rien de moins que ce qui nous anime nous adultes, non ?

Leurs textes nous parlent aussi de leur vécu des attentats de janvier 2015, de ce que c'est qu'être française quand tu es voilée.

CAR OUI ON PEUT ETRE FRANCAISE ET VOILEE ET CONTRE LES ATTENTATS
(j'ai eu besoin de l'écrire en majuscule car assez de lire, d'entendre : "dans le 93, les adolescents, ils s'en fichaient des attentats...même certains ont dit allah Akbar"

Ah bon, les adolescents d'aujourd'hui sont scotchés à internet, ne s'intéressent à rien ? Ah bon.

En tous cas, cet après-midi dans le public - composé de parents et d'autres adolescents, sans doute camarades d'école,  aucun smartphone n'est venu concurrencé ce qui se jouait au plateau : la fierté, l'estime de soi et plein d'autres choses, intimes à l'âme de chacune.

Mots, violons et Darbouka

Une proposition riche d'une heure environ, mêlant textes et intermèdes musicaux de l'orchestre symphonique  Divertimento  dont le projet artistique et sociétal est ambitieux  : accès à la musique symphonique pour tous, parité hommes-femmes, professionnels issus de la Seine-St-Denis ( direction artistique Zahia Ziouni)

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En cet après-midi, la mise en musique était assurée par Myriam Teillagorry






Donc, d'un côté, 4 voix pupitres pour les adolescentes, de l'autre 5 solistes interprétant des parenthèses musicales à la Darbouka, violons et violoncelle, jouées à l'archet et à la main, pour souligner les textes. Magique. Envoûtant. La musique quoi ! Qu'il s'agisse de musique classique ou traditionnelle, comme la musique d'entrée "Bakhta" à la Darbouka. Délice pour l'âme !

Round 2

"Je veux aller en France "

Les adolescentes laissent place à un 2nd groupe. 15 debout, au centre un micro.
S'approche un jeune homme qui nous narre une histoire (la sienne ?).

L'histoire d'une traversée, d'un european dream, d'un rêve bleu blanc rouge en dépit des entraves et empêchements.
"je veux aller en France " 
"Non ! Avant d'apprendre à écrire et à parler le français, il faut connaître le chemin de Dieu

" Reste en Italie, je t'apprendrai l'italien" 
"Non, je veux aller en France"

Une traversée qui nous apprend, nous rappelle que l'Afrique est un continent (plus grand que l'Europe), composé de pays que ce jeune homme va traverser (Syrie, Guinée, Congo). Comment osons-nous traiter de parasites fainéants ceux qui viennent au péril de leur vie en Europe, eux qui connaissent réellement le sens de serrer les dents et y croire ?

L'histoire d'une traversée servie par la belle présence de ce jeune homme, arrimé à son intériorité. Et cette façon qu'il avait de dire Sahara, comme il faut.  "J'ai traversé le Sahara" dit-il, avec le -H- qui existait dans sa bouche. Nous, nous dirions qu'il avait un accent. Moi, d'un coup, j'ai compris à quoi  servaient les accents. A bien dire les choses, les dire avec le niveau de cœur nécessaire. C'est pour cela qu'il ne faut jamais jamais railler les accents.

Vous faites notre fierté

"Durant cette année, vous avez découvert l'écriture, le théâtre, la musique, le dessin.Vous faites notre fierté", telle fut la conclusion de la directrice de l'établissement scolaire (je présume). J'amenderai légèrement ses propos. Je pense que ce que ces jeunes ont surtout découvert, c'est le droit, la liberté, la nécessité de se faire exister, de donner droit à leur bien-être, leur mal-être. A leur être au delà des clichés qu'on leur impose et qu'ils s'approprient malheureusement parfois.

Pour que nous soyons tous si émus de leur prestation, je m'interroge : quelle image avons-nous de cette jeunesse-là (celle des quartiers populaires et des lycées pro) ? Quelle image cette jeunesse-là a-t-elle d'elle-même ? Pas très bonne.

C'est l'histoire non tranchée de l’œuf de la poule. Est-ce que l'image qu'on a de soi est le reflet de l'image que les autres ont de nous ou l'inverse ? Pour que d'un coup, l'on soit si fiers d'eux, cela vient dire en creux qu'on ne les pensait pas capable de cela. Honte à nous ! et merci à Gauz d'avoir  mené avec eux ce travail  exigeant, libre, libérant et habité.

Ce serait donc eux, ces jeunes-là (ce -là- terrible qui contient toutes les exclusions),  les très dangereux de la République Française qu'ont veut nous faire craindre ? 

Arrêtons de les regarder comme ceux qu'ils ne sont pas : 
- des ratés. 
- des "mal nés" : mauvais côté du périphérique, mauvais continent, mauvais arrondissement. Les mauvais.

Laissons-les être, être à la lumière, éclore, fleurir, se tordre, pousser, se remettre droit, se cacher, respirer, crier, vivre.

Les gens ne naissent pas pourris. Mais sans lumière, ils pourrissent.

Moi, je nous souhaite de la croiser cette jeunesse-là, de la retrouver sur les plateaux de théâtre, d'opéra ou tout simplement dans leur vie. Celle que ces jeunes auront choisie.


Portraits exposés dans le hall de la Maison de la Poésie, réalisés par les élèves du lycée Etienne Dolet avec la professeur d'arts appliqués Sophie Bougourd










Partenaires et financeurs : Fondation France Télévisions, Divertimento, Mécénat Total, DRAC IDF.
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Notes

1 - Pour plus de diversité au niveau culturel
RASSEMBLEMENT
Appel du Collectif Décoloniser les arts à se rassembler pacifiquement et protester devant les Folies Bergères (32 rue Richer, Paris 9ème, métro Cadet ou Le Peletier) le lundi 23 mai à partir de 19 heures.
2 -Actrices principales du film Bande de Filles : Karidja TOURE, Assa SYLLA, Lindsay KARAMOH, Mariétou TOURE


3- 4ème de couverture Montre-moi ce que ce je vois, Restitution de la résidence d'écriture de Gauz et des élèves du lycée Etienne Dolet et du collège Jean Perrin

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